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Des contes et légendes
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Des contes et légendes
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12 décembre 2006

La fontaine de Marie

Conte de Noël (à ma fille)

Dans le fond verdoyant d'une petite plaine,
Comme au creux d'une coupe où se mire un ciel d'or,
Aux caresses du vent dont l'odorante haleine
Berce les orangers, Nazareth songe et dort
Parmi les amandiers, les nopals, l'asphodèle
Et les gais arbousiers au feuillage luisant.
Le site est lumineux et tranquille : un bruit d'aile,
Un chant d'oiseau parfois rompt le calme imposant.
L'air s'embaume aux senteurs de la ville fleurie.
D'âpres cimes partout limitent l'horizon :
Ici la Galilée et là-bas Samarie
Avec leurs contreforts tapissés de gazon.
Au nord, le grand Hermon, le géant solitaire
Etincelant de neige ; à l'est, près du Thabor,
L'Adjloun fécond, grenier de tout ce coin de terre ;
A l'ouest, le Carmel bleu ; puis, plus bleue encor,
La mer où le soleil du soir, ardent, immense,
Se couche dans la pourpre ; au sud, un autre Hermon
Où blanchissent les blés qui viennent sans semence ;
Plus loin, le Gelboé, sombre et superbe mont ;
Dominant le tableau, les hauteurs de Judée.
Le figuier sur la pente étale aux yeux ses fruits,
Et la vigne y mûrit, de lumière inondée.

Aux travaux de la paix dès leur enfance instruits,
Les hommes de la plaine et ceux de la montagne.
Vivent en liberté sous le regard de Dieu.
Simples, pieux, comme on l'est chez nous en Bretagne,
Aux jours de fêtes ou de repos, dans le saint lieu,
Ou devant les tombeaux, agenouillés, il prient.
Les femmes à pas lents, le front ceint du bandeau,
Si graves que jamais leurs lèvres ne sourient,
Vont portant sur la tête une urne pleine d'eau,
Semblables en leur marche aux déesses antiques,
Comme elles se drapant dans le lin pur et blanc.
Les maisons aux toits plats, ateliers ou boutiques,
Pareilles aux brebis, se suspendent au flanc
Des collines en cirque où le cyprès noirâtre
Allonge sa grande ombre aux approches du soir,
Quand, pour causer sans fin, la bouvier et le pâtre
Sous le ciel constellé, lassés, viennent s'asseoir.

Dans cette solitude où règne le silence,
Jésus, fils d'ouvrier, grandit en travaillant,
Tantôt faisant un joug, tantôt une balance,
Une roue, et toujours à l'ouvrage vaillant.
Enfant, il se mélait aux enfants de son âge,
Aux fils de Cléophas, dont la mère était soeur
De sa mère, et déjà la foule, à son passage,
Voyait sur son beau front rayonner la douceur,
Par les sentiers étroits souvent avec Marie
Il allait à Karem, au pays de Juda,
Visiter la maison du prêtre Zacharie.

Un jour le saint vieillard en pleurant l'aborda :
"L'été brûle nos champs, nos moissons dépérissent
Et penchent tristement vers le sol calciné.
Regarde : dans leur lit toutes les eaux tarissent.
Israël, sous le poids du malheur incliné,
En vain vers Jéhovah tend ses mains suppliantes.
Moi-même j'ai prié, Dieu ne m'écoute pas.
Détournant ses regards de nos plaines riantes,
Il a maudit son peuple et le voue au trépas.
Enfant dont la sagesse est déjà grande et sûre,
On dit que le Seigneur t'exauce mieux que nous.
Oh ! parle, donne-nous un conseil qui rassure."

Alors Jésus, ému, plia les deux genoux,
Et les yeux vers le ciel, il implora son Père :

"Toi qui dans le désert versas sur les Hébreux
Ta manne bienfaisante et qui rendis prospère
La tige de Jessé, Seigneur, ils sont nombreux,
Ceux qui n'ont à ces biens que ta puissance accorde
Aucun droit ici-bas ; ils sont sourds à ta voix,
Car ils ne savent point que ta miséricorde
Est sans borne et qu'au fond de leur âme tu vois.
Ils te craignent, Seigneur, te croyant implacable ;
Et préférant le désespoir au repentir
Lorsque l'adversité les frappe et les accable,
Lorsque le châtiment commence à se sentir,
Ils blasphèment au lieu de faire pénitence.
O toi qui m'as élu, Dieu bon, Dieu bienfaiteur,
Pour promettre aux pêcheurs ta clémente assistance ;
Toi qui veux leur donner ton Fils pour Rédempteur,
Si de ta pitié, Seigneur, ils sont indignes,
Fais-leur grâce pour moi, je souffrirai pour eux.
Ils te reconnaîtront à quelqu'un de tes signes.
Ils sont coupables, mais encor plus malheureux."

Il se tut, et ses yeux interrogeant sa mère
Pâle et triste, il la vit muette de douleur :
Il sentit en son âme une torture amère,
Et dit : "Mon Père, au nom d'Elle, pardonne-leur !"

Puis il pleura.

Soudain, en pleine roche vive,
Une grotte se creuse, une source a jailli.
Comme un torrent gonflé, qui sans cesse s'avive,
Baignant la terre dont le sein a tressailli,
L'eau se répand partout, elle arrose, elle inonde.
Les bouquets d'arbres verts, les citronniers en fleurs,
Les épis ranimés aux bienfaits de cette onde,
Les champs, les monts, la plaine ont repris leurs couleurs.

La source existe encore et n'est jamais tarie.
Les femmes des fellahs en savent le chemin
Et s'y rendent tenant leurs enfants par la main.
On l'appelle aujourd'hui FONTAINE DE MARIE.

Charles SIMOND

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