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Des contes et légendes
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11 décembre 2006

La ronde des fées (suite et fin)

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C'est pourtant un être vivant, une personne en chair et en os, ainsi que l'indiquent les soupirs qui s'échappent de sa poitrine et les larmes qui coulent à flots de ses yeux. Et pour dire tout de suite le fait, c'est la malheureuse Titine Rossignol qui, se flattant de réparer encore le mal qu'elle doit à son étourderie, vient trouver les fées pour faire un suprême appel à leur compassion. De compassion, elle en paraît bien digne, la chère enfant. Quelle différence entre ce qu'elle est maintenant, et la gentille et heureuse fille qu'elle était lorsqu'elle passait pour la première fois par ce chemin ! A la considérer d'assez près, on la prendrait pour une sexagénaire, et il ne lui manque qu'un bâton pour soutenir sa taille voûtée et ses jambes chancelantes. La tête complètement chauve, les yeux renfoncés, le visage maigre et émacié par la perte de ses dents, la peau brunie et criblée de trous comme par une décharge de grains de plomb, elle faisait réellement pitié, et, à son aspect, un sincère attendrissement eût ému des coeurs d'airain.
Quand elle fut auprès des enchanteresses, elle ouvrit la bouche pour se plaindre, mais les mots expirèrent sur ses lèvres, et ses sanglots et ses pleurs parlèrent éloquemment pour elle.
- Que nous veux-tu, jeune fille ? lui dit la maîtresse fée.
- Ah ! mesdames, pouvez-vous me le demander à la vue de l'état où vous m'avez mise ?
- Eh ! ma mignonne, à qui fais-tu ce reproche ? Sache bien que ce n'est pas à nous qu'il faut t'en prendre de ton infortune, mais à ta vanité folle, à ton sot orgueil, à la jalousie condamnable dans laquelle tu portais tant de haine à celles que tu ne pouvais égaler. Mais console-toi, mon enfant, tu n'es pas la seule qui soit victime de ses penchants aveugles et de ses passions immodérées ; autour de toi tu trouveras une foule de gens qui n'ont aucun droit de te jeter la pierre. Vois cette jeune pimbêche qui, brûlant du désir de se marier, prend pour époux le premier fanfaron qui lui promet la lune et les étoiles en se tordant la moustache, et en qui bientôt elle ne découvrira qu'un chenapan criblé de dettes, et une âme glaciale, égoïste et corrompue ; vois ces beaux godelureaux qui, prenant la vie pour une fête, la jeunesse pour un long éclat de rire, et la bourse de leurs parents pour le lit du Pactole, se jettent tête baissée dans les plaisirs, ou s'endorment dans la fainéantise pour se réveiller un jour sur le grabat d'un hôpital ou sur la paille d'une prison ; vois ce ménage imprévoyant qui, prenant en pitié la prudence et narguant l'économie, mène une vie à larges guides, jette son avoir à tous les vents et qui, un beau matin, se voit sans ressources, sans crédit, sans confieance, et ne trouve plus que le diable au fond de son escarcelle ; vois enfin ces hommes qui, poursuivant la popularité, la réputation, la gloire avec l'acharnement d'un enfant courant après les papillons, sacrifient à ces fantômes fortune, honneur, conscience, vertu, tout, excepté leur orgueil, dont ils obtiendront bientôt le salaire dans un mépris universel, et leur folie, dans laquelle ils mourront en maudissant les hommes et les choses humaines.
Tous ceux-là, ma fille, sont venus à la foire aux fées, ont fait leurs emplettes au marché des sorcières et ont troqué des biens réels et précieux contre les vils oripeaux de la vanité, contre les sordides guenilles d'une convoitise satisfaite !

Jules DENYS

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