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Des contes et légendes
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8 octobre 2008

La Pantoufle de Tag

Conte Norvégien

Sten Ekman et sa femme Johanna marchaient lentement, silencieux, la tête basse. Bien paisible, la petite Asta dormait entre les bras de sa mère : ce berceau-là, heureusement, ne pouvait lui être enlevé !
Les deux époux venaient de vendre un porc, leur dernier. Quoiqu'ils eussent lutté désespérément contre l'acheteur, il avait fallu céder l'animal à bas prix, à cause de sa maigreur. La somme qu'il rapportait était insuffisante pour satisfaire Stenkil Bjorn, leur propriétaire, qui refusait de les garder un jour de plus s'ils ne payaient d'abord intégralement leur loyer.
Stenkil Bjorn était aussi inhumain que riche ; nul espoir de l'attendrir ne subsistait au coeur des époux. En vain, ils cherchaient ce qu'ils pourraient vendre encore pour compléter la somme... Les quatre murs de leur humble ferme n'étaient-ils pas nus, le buffet vide... vides aussi la grange, la cave et le grenier ? Les mauvaises récoltes et la maladie leur avaient enlevé leurs dernières ressources.
Après les tristesse de l'adieu à la maison où ils coulèrent d'heureux jours, où ils rêvèrent de mourir, leur faudrait-il donc aller se louer chacun de son côté dans quelque métairie voisine, ne plus vivre de la bonne vie familiale ?
maisons_11Ah ! que Stenkil Bjorn était cruel ! Il n'ignorait pourtant pas qu'un délai de quelques mois eût sauvé les Ekman, que, passé la moisson, ils se fussent acquittés !... Travailleurs, sobres, économes l'un et l'autre, ils méritaient qu'on leur vînt en aide !...
Oui, Stenkil était cruel, mais les deux époux étaient trop généreux, pour nourrir des sentiments de vengeance contre leur propriétaire et lui souhaiter du mal !...
Asta dormait toujours. Le pas lent des parents se traînait sur la route, le ciel pâle se voilait de gris.
Malgré le profond chagrin qui les absorbait, ils remarquèrent, dès l'entrée du village où habitait Stenkil Bjorn, l'animation inaccoutumée qui y régnait. Des paysannes allaient et venaient, effarées, mystérieuse ; d'autres fermaient leur porte ; d'autres s'entretenaient bruyamment par groupes...
Ils ne s'informèrent pas du sujet de ce mouvement, et comme ils étaient peu connus en cet endroit, personne ne les arrêta pour les renseigner... Ils arrivèrent chez Stenkil, ferme superbe, en bois travaillé, avec un large balcon, découpé à jour comme une dentelle.
Les troupeaux mugissaient aux étables, mais dominant leurs voix graves, des cris, des sanglots s'échappaient de la maison.
Timides, ils entrèrent. Quoi qu'il y eût, ne fallait-il pas remettre au propriétaire le peu d'argent qu'ils avaient réalisé, et tenter encore une fois de l'attendrir, implorer un délai ?
Stenkil s'avança vers eux... Sur son froid visage, se lisait un désespoir profond. Bien qu'ils ne connussent pas la cause de sa peine, les solliciteurs eurent une lueur d'espoir : ils pensèrent que le chagrin de cet homme l'inclinerait à la pitié... Mais non.
"Allez au diable, répondit-il durement, sans leur laisser le loisir de s'expliquer ; que demain, dès le chant du coq, la ferme soit libre."
A quoi bon supplier davantage ?paysages_08
Dans la grande salle qu'ils traversèrent pour sortir, ils virent dame Frédérika, femme de Bjorn, qui sanglotait et gémissait, assise sur un banc où deux robustes servantes la maintenaient de force.
"Mon enfant, mon beau petit Ragnar, où es-tu ?" criait-elle.
Soudain apercevant la mignonne Asta, toujours endormie sur l'épaule de sa mère :
"Oh ! cria-t-elle, pourquoi n'est-ce pas celle-là, plutôt que le mien !..."
Sten et Johanna tressaillirent, et leurs yeux s'emplirent de larmes devant cette douleur sans pareille.
Ils croyaient que le fils de Bjorn était mort ; mais ils apprirent bientôt que le petit Ragnar avait disparu depuis le matin, enlevé, soit par un voleur, soit, disait-on, par quelque méchant génie - car notre récit se passe au temps lointain où la terre et les airs passaient encore pour être habités par les génies et les fées.
Les pauvres sans asile se trouvèrent riches, en regardant leur cher beau trésor que la mère serrait plus près d'elle, et Sten dit :
"Les malheureuses gens !... ah ! que notre peine est minime, comparée à la leur !..."
Pour revenir chez eux, les Ekman traversèrent une forêt... Ils se hâtaient...
"La jolie perle brillante !" dit tout à coup Johanna en se baissant.
Sur la mousse, elle ramassa une merveilleuse petite chose, non point une perle comme elle le croyati, mais une pantoufle de clair cristal, si légère elle-même, qu'elle était accrochée à un brin d'herb qui ne penchait même pas sous la charge... Pâle d'émotion, Sten regardait.
"Oh ! ma femme, ne vois-tu pas que c'est là le soulier d'un elfe (ainsi nomme-t-on en Norvège les petits génies de l'air), qui l'a perdu en dansant... Grâce à ton heureuse trouvaille, nos misères vont finir... Notre fortune est faite !
- Oui, répondit-elle joyeusemetn, si un elfe perd sa pantoufle, il ne refuse rien à qui la lui rapporte... Mais ce génie, où le trouverons-nous ?
- Eveillons les échos voisin qui ne refuseront pas de le prévenir."
Sten réunit ses deux mains en cornet et cria à pleine voix :
"Pantoufle...
-Pantoufle ! répétèrent les échos...
-Trouvée..., cria Sten quand le dernier son fut éteint.
-Trouvée ! redirent les échos complaisants.
person11La forêt vibrait encore, lorqu'aux oreilles des deux époux résonna un tintement de clochette, entrecoupé de joyeux éclats de rire, en même temps qu'à leurs pieds la mousse s'imprégnait d'une lumière, d'où surgissait le génie. Il n'était pas plus long qu'un doigt de la petite main d'Asta ; il était beau à miracle, avec ses yeux brillants, son teint rose, sa chevelure blonde.
Un de ses pieds était chaussé d'une pantoufle semblable à celle que venait de trouver Johanna.
"Je m'appelle Tag, dit-il, d'une voix frêle, mais claire... Demain, dès que l'Aurore glissera à travers les nuages, je dois soutenir la traîne de son long manteau rose, et la suivre jusqu'au palais de la Fée du Jour, dont chaque matin elle entrebaîlle la porte du feu... Imaginez-vous la mine que j'eusse faite, un pied chaussé et l'autre nu... Il m'eût fallu ou mourir de confusion, ou consentir à vivre au fond de la forêt, en la seule société des bêtes fauves.
"Notre pouvoir réside en ces deux pantoufles, que nous recevons en venant au monde et que nul ne peut remplacer, et je cherchais vainement celle-ci depuis trois heures... Je veux que votre récompense soit merveilleuse... Venez avec moi au royaume des elfes : parmi tous mes trésors, vous choisirez... Mais rendez-moi d'abord ma pantoufle," ajouta-t-il gaiement !
Johanna lui rendit le mignon bijou, qu'il chaussa aussitôt...
Ses lèvres s'arrondirent et exhalèrent un léger souffle... Alors la forêt disparut, sans que Johanna et Sten comprissent si elle s'était évanouie, ou bien si, à la suite de Tag, ils avaient franchi l'espace avec une vitesse prodigieuse.
Maintenant, ils étaient au bord du lac, sur les eaux duquel s'ébattaient par milliers d'étincelants génies, fleurs vivantes, papillons lumineux, semblait-il.papillontp3
"Que pas une syllabe ne s'échappe de votre bouche, leur recommanda Tag, ou bien les elfes vous retiendraient à jamais parmi eux."
Il dit, et s'élança sur le lac, suivi de Sten et de Johanna portant sa fille, qui, plus éveillée à présent qu'un petit coq au matin, ouvrait et refermait ses doigts menus pour saisir les capricieux papillons voletant autour d'elle.
Portés par une puissance surnaturelle, ils descendirent mollement au fond de l'eau et arrivèrent secs, reposés, dans un royaume merveilleux d'où les maisons étaient en diamants.
Ils serraient bien leurs lèvres afin que n'en sortît nul cri d'admiration.
Tag les conduisit en son palais, et là, il leur montra des pierreries, il leur offrit les honneurs, la royauté qu'ils ne voulurent point ; la science qu'ils dédaignèrent aussi, ne comprenant pas ce qu'ils en pourraient faire.
Eblouis, silencieux, ils ne se hâtaient point de choisir.
Et pourtant, ils étaient fixés : ils désiraient tous deux la fortune, non pas qu'ils fussent ambitieux ou avares, mais parce que toujours leurs peines étaient venues de la pauvreté, et aussi parce que l'argent, ils le savaient, fait éclore le bonheur, lorsqu'il coule d'une main charitable.
"Eh bien ?" interrogea Tag souriant.
Ils allaient enfin désigner un tas d'or, lorsque des cris d'enfants arrêtèrent leur geste...
A quelques mètres, couché sur le sol, un enfant pleurait, beau bébé de l'âge d'Asta. Ils s'approchèrent et reconnurent Ragnar, l'enfant disparu de Stenkil Bjorn, leur inhumain propriétaire.
Leurs yeux interrogèrent le génie.
"Oh, dit celui-ci en fronçant ses sourcils, ne vous inquiétez pas de ce marmot ; son père est un vilain homme, sa mère, une femme méchante ; tous deux m'ont chassé par leur méchanceté de leur maison dont j'étais le génie protecteur, et où, depuis des siècles, je veillais au bon état des étables et de la cuisine.. J'ai fait leur fortune, mais, puisqu'ils se montrent ingrats, je me venge..."
Aux yeux des parents d'Asta, les merveilles environnantes se voilèrent ; leur imagination les reporta soudain vers la grande salle où Frédérika se désespérait, appelant son fils.
Une même pensée leur vint sans qu'ils se fussent consultés, sans qu'ils eussent imploré la clémence de Tag, puisqu'ils ne pouvaient prononcer un mot... Johanna se pencha sur le bébé, l'enleva de son bras libre et le serra contre la petite fille. De tous les trésors de Tag, c'est celui-là qu'ils choisisssaient.
La nuit était noire, quand les époux Ekman frappèrent à la porte de Stenkil Bjorn... Johanna entra, marchant droit à la salle où pleurait toujours la mère, et posa le petit sur ses genoux en disant :
"Le voilà !..."
Quel cri de bonheur !... Les pauvres gens en furent réchauffés jusqu'au fond de l'âme, et quoiqu'ils regrettassent la fortune perdue, ils pensèrent qu'ils avaient bien agi.
Quand l'heureuse famille de l'enfant retrouvé voulut enfin remercie les sauveteurs, ceux-ci étaient loin. Point encore rendus, bien las, ils allaient sous le ciel sans étoiles, le coeur davantage serré à mesure qu'ils approchaient de leur demeure.
Mais quand ils entrèrent chez eux, écoutez ce qu'ils virent :
yg_feu89Le feu brillait dans l'âtre, un souper était servi, plus copieux qu'ils n'en eurent jamais... Dans les étables, vides le matin, on entendait de sonores mugissements.
Stupéfaits, il se demandait qui les fêtait ainsi, doutant presque que ce fût là leur humble ferme, lorsque, jaillie dans l'âtre, d'une pluie d'étincelles, la forme d'un elfe qu'ils connaissaient bien leur expliqua le mystère... Le feu arrêta ses crépitements, et la voix cristalline du génie dit joyeusement :
"Où demeure Tag, ne saurait régner le froid, l'obscurité et la misère... Je suis bien ici, j'y resterai cent ans au moins... Vite à table et bon appétit."

Paul ROLLAND

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