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Des contes et légendes
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15 février 2012

Les formulettes

Tresses au vent, jupes tourbillonnantes, les petites filles, sous les préaux ou dans les cours de récréation, ont mille jeux où délasser leurs jambes qu'une heure de classe a condamnées à l'immobilité. Plus encore que les garçons, elles s'animent, sautent, dansent, et leurs cris perçants font songer au piaillement d'une nichée d'oiseaux qui soudain prend son essor. Mais, dans un coin du parc où les feuilles mortes ont mis leur épais tapis, pourquoi se sont-elles rangées en cercle, la plus grande au milieu, scandant de sont doigt tendu une étrange cantilène ?
C'est qu'il s'agit, avant de jouer au "Chat perché", aux "Barres", ou à "Colin maillard" de désigner celle qui "y sera". Et depuis qu'il y a des enfants, et qui jouent, il n'y pas d'autre moyen, pour cela, que de dire une de ces "formulettes".
Rien de plus gracieux, de plus pittoresque que ces refrains dont chaque province conserve le trésor séculaire. Les petites filles d'aujourd'hui, qui tournent en rond en se tenant par la main, ne se doutent peut-être pas que leurs grand'mères ont fait comme elles en chantant les mêmes airs, et que "la poule sur un mur, qui picote du pain dur", si elle vivant encore, serait une très vieille aïeule de poule, percluse et toussante, et qui pourrait leur raconter, pour y avoir assisté, toute la Révolution Française.
Voici quelques formulettes : peu connues et originales.
Du département du Nord et de celui des Basses-Pyrénées, vient l'histoire du "Monsieur de Saint-Laurent" :

Un monsieur de Saint-Laurent_cole
A perdu sa canne d'argent
Et son bâton d'or. "As-tu déjeuné ?
- Oui, j'ai déjeuné.
- Qu'as-tu donc mangé ?
- J'ai mangé un oeuf,
La moitié d'un boeuf,
Quatre-vingts moutons,
Autant de jambons,
J'ai bu la rivière,
J'ai mangé cent pains,
J'ai encor' grand'faim.

On ne dira pas que la perte de ses deux précieuses cannes a coupé l'appétit de M. de Saint-Laurent.
Et si vous ne savez pas que, dans le Cotentin, il y a des crocodiles, écoutez cette formulette qu'on chante à Sainte-Croix de Saint-Lô :

Trois crocodiles,
S'en allant à la guerre,
Firent leurs adieux
A leurs petits enfants.
Leur longue queue
Traînait dans la poussière,
Leurs ennemis
Les suivaient en chantant.
Ah ! les cro, les cro,
Les crocodiles,
Sortez en chantant !

A la Rochelle, on est plus court et à la fois plus bruyant. Pour sortir du rond, il faut que tombe sur vous la dernière syllabe de la formulette suivante :

Cinq pistons, six trombones,
Sept tambours, huit grosses caisses,
Grand potin au bal du coin !

Maintenant une récompense à qui dira très vite et sans se tromper le couplet suivant, de Neuilly :

Trois petits pots bouillants,
Tous trois de combattant,
L'un de ces pots, dit à ce pot,
Ôtez ce pot de vers ce pot,
Car, si ce pot touche à ce pot,
Ce pot cassera ce joli pot !

Et le "joli petit pot", comme bien on pense, tandis que les autres se cachent, n'a plus qu'à aller se mettre le nez dans coin en comptant jusqu'à quarante.
Nombre de formulettes chantent la gloire de divers animaux de la création. Mais ce sont des animaux comme on en voit dans les contes de fées : ils fument la pipe, filent la laine et jouent aux cartes. Écoutez plutôt :

Au clair de la lune,
Trois petits lapins,
Qui mangeaient des prunes.
Comm' trois p'tits coquins,
La pipe à la bouche,
Le verre à la main,
En disant : "Madame,
Versez nous du vin,
Tout plein, tout plein,
Jusqu'à demain matin."

Ces lapins si coquins sont originaires de Saint-Dié (Vosges). Ils ont pour cousin un toutou qui nous est signalé de Paris :

Un p'tit chien
Dans un moulin,
Qui s'appelle Barbottin,
Barbottin qui file
Son fil qui s'défile,
Il a tant dévidé
Qu'il a tout emmêlé !

Et que pensez-vous de la vie que mènent les insectes de Perpignan ?

Un pou et une puce, sur un tabouret,
S'amusaient aux cartes : la puce a gagné.
Le pou, en colère de sa trahison,
S'en va par derrière, lui tire le chignon,
Gnon !

On ne dit pas si cette dernière syllabe coïncide avec un coup de poing dans le dos de celui qui "y est".
Si vous préférez maintenant les formulettes poétiques qui mêlent le parfum des fleurs au chant des oiseaux et réalisent en quatre lignes un frais tableau champêtre, écoutez ceci :

J'ai des roses,ecole1
Demi-closes,
Du muguet et du jasmin,
Jeunes filles,
Très gentilles,
Parfumez vous en chemin !

*

Là haut sur la branche,
L'alouette chante,
Là-bas dans la plaine,
Le mouton qui bêle ;
La fermière déchaussée
Va passer le gué.

*

Je mangerais bien la queue d'une poire,
Si c'était la poire entière.
Prends ton seau, jolie bergère,
Prends ton seau, va tirer de l'eau.

Enfin signalons quelques refrains d'une extravagante fantaisie et qui, parce qu'ils n'ont, comme on dit, ni queue ni tête, sont d'autant plus amusants.

Mon papa est cordonnier,
Ma maman fait des souliers,
Ma p'tite soeur est en nourrice
Sur la queue d'une écrevisse,
Artichaut,
Tire le rideau !

Transposez cela en image, et vous aurez un tableau de famille véritablement extraordinaire. Le paysage suivant ne l'est pas moins :

Trois gendarmes sur un pont
Qui pêchaient de gros poissons :
La ligne se casse,
L'enfant se tracasse.
Ne pleurez pas, mesdames,
Vous en aurez un autre
Qui aura la queue jaune,
Des souliers de maroquins,
Retirez-vous, petits coquins.

Bien malin qui dira à qui est promise la queue jaune, et les souliers de maroquins. D'ailleurs, il n'est pas très utile de le savoir.
Débris de vieilles complaintes, refrains de chansons oubliées, ou tout simplement improvisations saugrenues de petites cervelles à l'envers, les formulettes françaises, qui voltigent sur tant de lèvres enfantines méritent d'être conservées. Comme les anciennes coiffes chaque jour plus rares dans nos provinces, elle sont un peu l'âme de la France.
Continuez donc, petits amis, à préluder à vos jeux en chantant les formulettes ; et ne soyez pas trop surpris si vous voyez quelque vieille, vous écoutant, hocher la tête en mesure, avec un sourire édenté, car c'est toute sa jeunesse, à elle aussi, qui repasse devant ses yeux au son de "Arm, stram, dram, Pik et Pik et Colégram..."

J. FRENEUSE - 1912

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