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Des contes et légendes
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18 octobre 2007

Le Grand Duc

mistQuand mon grand-père était jeune, -il y a plus de cent ans de cela,- on croyait encore aux sorciers, aux loups-garous, aux revenants. C'était le temps où l'on n'aurait pu, au dire des paysans, traverser à minuit un cimetière et passer devant un ossuaire sans entendre une tête de mort interpeller le téméraire, où l'on ne pouvait rentrer chez soi, au clair de lune, par une route déserte, sans avoir à porter pendant deux lieues, au bout d'un baguette de coudrier, un diable pesant comme du plomb qui s'y tenait en équilibre sur un pied fourchu.
Les gens les plus sérieux n'étaient pas affranchis de ces superstitions et les plus braves ne se seraient certainement pas aventurés la nuit dans une maison hantée.
Mon grand-père me racontait souvent des histoires vraies qui témoignaient de ces craintes populaires. Il m'en revient une à la mémoire et je vais vous la dire : mon grand-père m'a affirmé que les faits s'étaient passés sous ses yeux.water_20mills_20at_20eu
Il habitait un château entouré d'un grand bois peuplé de hiboux, de chouettes, de hulottes, de chauves-souris. Un soir, un grand-duc entra dans la grange, et quand vint le jour ; lorsque le garçon d'écurie vint chercher de la paille, la bête regarda l'homme d'un air si terrible, que, poussant un cri, le palefrenier jeta ce qu'il avait dans les mains et s'enfuit, comme s'il avait vu Lucifer en personne. Aussitôt il courut prévenir son maître.
- Il y a dans la grange un monstre d'enfer : les yeux lui tournent dans la tête comme des roues de fer ; si je m'en étais approché, il m'aurait dévoré.
- Imbécile, dit mon grand-père, quand tu dois prendre une fourmi, tu bois d'abord un verre d'eau-de-vie pour te donner du courage, mais si tu trouves une poule morte, tu retournes vite à la maison et prends un bâton pour te défendre. J'irai voir moi-même ce que c'est que ce monstre.
Et mon grand-père y alla en effet, mais il faut croire que, lui aussi, n'avait pas encore dépouillé toute peur du malin, car lorsqu'il eut vu les yeux affreux de la bête énorme, il eut, m'avoua-t-il, la chair de poule comme le palefrenier et s'empressa de battre en retraite. Puis il alla quérir des voisins pour lui prêter main-forte contre un animal dangereux qui s'était introduit dans sa grange, et qu'il fallait mettre à mort pour éviter quelque malheur.
Il y eut alors une panique. Mais on finit, sur la prière de mon grand-père, par s'armer de fourches, de faux et de cognées pour marcher contre le redoutable ennemi. Le bailli, homme prudent, venait derrière à cent pas de distance.
Quand la troupe se fut disposée, sur le marché, en ordre de bataille, elle se dirigea vers la grange, qu'elle cerna.
siegfriedAlors l'un des plus braves - il avait un sabre - pénétra à l'intérieur, mais revint presque aussitôt, pâle comme la mort : il ne pouvait articuler une seule parole. Deux autres voulurent faire preuve d'audace : ils ne restèrent qu'une seconde dans la grange.
A la fin, un vieux soldat qui avait fait la guerre de Sept ans et pouvait montre quatre blessures, dit :
- Ce n'est pas en allant regarder le monstre que vous le tuerez. Il faut se mesurer à lui. Qu'on aille me chercher ma cuirasse et mon épée.
On les lui apporta en admirant sa vaillance, mais tous lui disaient qu'il risquait sa vie.
Le palefrenier ouvrit, tremblant comme une feuille, les deux portes de la grange, et le guerrier entra.
Il vit le grand-duc qui était allé se percher sur une poutre. Il fit apporter une échelle, et, quand il l'eut dressée et appuyée, on lui cria :
- Courage ! courage !
Plusieurs rappelèrent, à ce moment, les exploits de saint Georges, qui avait tué le dragon, et de saint Michel, qui avait terrassé et écrasé le démon.
Quand le hibou vit que l'homme monté sur l'échelle lui en voulait, ahuri par toute cette foule attroupée hors de la grange, et par l'éclat de la lumière, il ouvrit ses ailes d'une puissante envergure, les battit avec violence, allongea son bec pour se défendre et poussa un cri retentissant.
- Sus ! sus au diable ! criaient les assistants pour stimuler le héros.
- Je voudrais vous voir à ma place, répondit le crâne soldat d'une voix tressaillante.
Il gravit encore deux échelons, puis tout son corps frissonna, il retomba en arrière comme une masse.
Alors il n'y eut plus personne qui parlât de prendre sa place.
- Le monstre, disait-on, a repoussé et peut-être fait périr le plus courageux d'entre nous.
Cependant on ne pouvait laisser toute la région à la merci de cet ennemi. On délibéra longtemps sur ce qu'il y avait à faire. A la fin, le bailli trouva une solution suprême.
- Monsieur le châtelain, dit-il à mon grand-père, vous devez vous dévouer pour la cause commune. Estimez ce qui est dans votre grange, paille, foin, fourrage, blé, en y ajoutant la valeur de la grange elle-même, tout le monde se cotisera pour vous indemniser, mais il n'y a pas d'autre moyen de nous délivrer de ce monstre que de mettre le feu aux quatre coins du bâtiment.fire
- Je protestai d'abord, dit mon grand-père, mais tous ceux qui étaient là étaient tellement affolés que, si je n'avais consenti, je crois que l'on m'aurait massacré. Je dis ce que ce bâtiment m'avait coûté et ce qu'il contenait. Le bailli en fit le calcul. Tous les assistants s'engagèrent à me rembourser et un acte en règle en fut dressé.
Puis le bailli ordonna de faire flamber la grange.
Il n'en resta pas un éclat de bois, pas un fétu de paille, et le grand-duc fut brûlé avec tout le reste.
- Allez, dans l'endroit, ajouta mon grand-père en concluant, vous y trouverez encore des gens qui vous diront comment le village fut sauvé du démon par le bailli.

M. BERTHAULT

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