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Des contes et légendes
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20 décembre 2012

Dînette mouvementée

D_cembre2012_002Il y avait fête enfantine ce jour-là à la villa des Marronniers, charmante propriété située à Neuilly, et  appartenant à M. et à Mme Méraud. Leurs deux enfants, Alice, grande fillette de douze ans, et Henri, de deux ans plus jeune que sa soeur, étaient revenus depuis peu de Fleury-la-Forêt, village de Normandie, où ils passaient chaque année leurs vacances, et ils profitaient de ce dernier jour de congé pour recevoir leurs petits amis.
Alice et Henri achevaient, dans le parc, les derniers préparatifs, contemplant d'un air satisfait la balançoire accrochée au portique, et tous les jeux habilement disposés : le billard chinois, le croquet, le jeu de boules.
"La plus grande attraction sera aujourd'hui la présence de Michel, dit Henri en enfonçant la dernière arche du jeu de croquet ; son allure et ses propos campagnards feront rire tous nos amis."
Michel Durant était le fils du fermier qui s'occupait des propriétés que M. Méraud possédait en Normandie. Il avait pour ses jeunes maîtres un dévouement sans bornes, et le temps des vacances, qui les ramenait à Fleury, était pour lui la meilleure époque de l'année. Alice appréciait beaucoup la délicatesse de ce gros garçon de treize ans, qui savait chaque jour leur procurer une distraction nouvelle, et Henri trouvait commode d'avoir un compagnon toujours disposé à céder. Aussi tous deux avaient été ravis d'obtenir l'autorisation d'amener Michel passer quelques jours à Neuilly.
Henri, très ignorant des choses de la campagne, allait enfin pouvoir montrer sa supériorité : il saurait tout expliquer à la ville, et il ne craindrait plus de confondre le blé avec de l'avoine. Mais, arrivé à Paris, son zèle d'éducateur avait beaucoup diminué ; la tournure de Michel l'offusquait, il ne pouvait pourtant pas dire à tout le monde que ce paysan était le fils de son fermier !
Alice, qui connaissait le caractère de son frère, se hâta de lui répondre :
"Ce serait mal d'exposer ton camarade d'enfance, qui est en ce moment notre hôte, aux railleries de tes amis ; ils ne sauront pas tous discerner, sous une écorce un peu rude, la bonté et l'esprit très juste de Michel.D_cembre2012_003
- Ne te fâche pas, petite soeur, nos plaisanteries ne seront pas bien méchantes, car je me rappelle comme toi la complaisance que Michel a déployée depuis deux mois pour nous amuser. Mais, que veux-tu, il faut bien rire, et j'ai promis à mes camarades de leur exhiber tantôt un campagnard pur sang, ignorant comme une carpe.
- Ignorant ? Michel ne l'est pas. Il a acquis tout seul beaucoup de connaissances, et papa dit lui-même qu'il sera plus tard un excellent fermier. En attendant, il sait fort bien soigner les animaux : le jour de son arrivée, il a guéri notre cheval malade depuis une semainse, et en ce moment il s'occupe de notre petite chienne Frisette, dont il trouve l'état inquiétant. Il l'a enfermée dans la serre et veut seul l'approcher.
- Frisette malade, en voilà un conte ! C'est pour se rendre indispensable que Michel trouve nos animaux en danger.
- Tu deviens méchant, Henri."
Henri ne répond pas, il a entendu résonner le timbre de la grille ; le visage souriant, il se précipite au-devant de deux amis qui arrivent accompagnés de leur bonne.
Quelques instants plus tard, une dizaine d'enfants, garçonnets et fillette, vont et viennent dans le parc. Michel paraît alors sur le perron de la villa.
A l'aspect du jeune garçon, devant sa blouse bleue, ses gros souliers chargés de clous et ses cheveux qui n'ont jamais été touchés par le fer du coiffeur, de petits rires étouffés se font entendre. Henri n'est pas méchant, mais un vilain respect humain paralyse ses meilleures qualités. Devant tous ces petits élégants, il ne peut avoir l'air d'être le camarade de ce paysan, il va chercher à faire de l'esprit à ses dépens.
"Je vous présente Michel Durant, l'inventeur du couteau qui coupe le blé tout seul, et d'une nouvelle machine à battre le beurre qui fait des merveilles."
Cette fois, les rires éclatent. Mais Michel, s'avançant, répond à-propos et bonne humeur :
"Oh ! monsieur Henri, je ne suis pas assez savant pour inventer tout cela ; c'est sur vous qu'on compte pour trouver plus tard ces choses utiles."
Et, afin de se montrer aimable, le jeune campagnard vient secouer vigoureusement la main de ces petits Parisiens qui se pressent côte à côte.
Quelques mains cependant se dissimulent, et Michel reste assez embarrassé au milieu du jardin. Il l'est bien davantage encore quand les jeux s'organisent ; aucune fillette ne veut de lui comme partenaire, et Henri, vexé, n'a plus l'air de le voir. Alice a malheureusement quitté la réunion, afin de surveiller les préparatifs du goûter.
Michel, mal à l'aise, tourne entre ses doigts un morceau de sa longue blouse.
On apporte le thé sous la tonnelle, où sont placés d'élégants fauteuils de jardin. Alice revient enfin, et avec l'entente Novembre2012_001parfaite d'une maîtresse de maison, elle dispose, sur une petite table, de mignonnes tasses artistement décorées, les emplit du liquide bouillant et les offre à ses invités.
Michel accepte une tasse de thé. Tous les regards sont fixés sur lui. On espère qu'il va dire quelque chose de drôle, c'est si bon de rire !
"Il prend sa serviette à thé pour un mouchoir, chuchote un garçonnet à l'oreillle de sa voisine.
- Dame ! il est probable qu'on ne s'en sert pas dans sa ferme."
Une fillette, présentant le sucrier, passe devant Michel, qui ne s'est jamais vu plus embarrassé. Il pose enfin sa tasse sur ses genoux, et, de la main droite, saisissant un morceau de sucre, il le place dans la pince pour l'apporter ensuite dans son thé.
Un éclat de rire général a accueilli le mouvement.
Michel, interdit, se sentant la cause involontaire de cette hilarité, ne sait plus quelle contenance garder ; d'un faut mouvement, il fait basculer sa tasse, qui vient se briser sur un caillou, éclaboussant de son contenu la robe de sa voisine.
"On n'appprend pas l'adresse à la campagne, murmure cette dernière.
- Le mal n'est pas grand, dit Alice, le thé ne tache pas.
Et, craignant quelque remarque désobligeante, elle ajouta :
"Je voudrais bien, Michel, que vous veniez avec moi voir Frisette, il y a longtemps que notre pauvre petite malade est enfermée."
Henri les regarde s'éloigner en haussant les épaules. 
"Elle est folle, ma soeur, nous allions commencer à rire.
- Moi, je n'en ai guère envie, ma robe est abîmée. Oh ! je n'aime pas les paysans.
- Quel ours ton ami !
- Mal léché, tu pourrais ajouter.
- Oh ! moi, je me suis cachée derrière Henri, déclare une petite précieuse.
- Tâche qu'il parte bientôt, que nous ne le retrouvions pas ici jeudi si nous revenons te voir.
- Ou alors qu'on l'envoie à l'office plumer les volailles, il y serait mieux à sa place.D_cembre2012_001
- Frisette est donc malade ? interrompit une petite fille gênée par ces réflexions dont elle comprend la méchanceté.
- Pas le moins du monde, répond Henri ; c'est une invention de Michel, qui accuse tous les chiens d'être enragés ; et la preuve, c'est que Frisette va vous donner une véritable représentation ; je lui ai appris de nouveaux tours, vous allez voir comme elle est drôle. Je l'ai cachée là, tout près, dans l'ancienne écurie ; Michel l'avait enfermée à l'extrémité du jardin, mais j'ai été la chercher sans qu'il s'en aperçoive. Dépêchons nous, si Alice revenait, ma séance serait manquée."
Les enfants se rangent en cercle, et Henrir va entr'ouvrir la porte de l'écurie.
Frisette apparaît.
C'est une jolie petite chienne noire, aux longs poils frisés, qui se prête ordinairement à tous les caprices de ses jeunes maîtres, mais aujourd'hui elle ne songe pas à jouer, la voici qui, tout à coup, l'oeil hagard, l'écume à la gueule, la queue basse, se précipite au milieu du groupe formé par les enfants, tourne sur elle-même, puis revient vers Henri. Elle va se précipiter sur lui, lorsqu'une main de fer la saisit et la maintient immobile. Michel, ayant vainement cherché Frisette, s'était douté du projet d'Henri, et, afin de porter secours aux enfants, il était revenu précipitamment au milieu d'eux.
"Du secours ! cet animal est enragé !" crie-t-il.
M. et Mme Méraud sont absents. On appelle les domestiques qui viennent aider Michel Quelques secondes après, la petite bête ligotée est hors d'état de nuire ; on l'enferme en attendant l'arrivée du vétérinaire.
Henri baisse la tête. Lui et plusieurs de ses amis doivent probablement la vie à ce petit paysan qu'ils tournaient en ridicule il n'y a qu'un instant. Le brave garçon, oubliant les railleries, s'est exposé pour sauver ces jeunes imprudents. Maintenant que le danger est passé, il veut de nouveau s'éloigner, mais Henri, tout ému, s'avance vers lui :
"Michel, comment te remercier ?... Veux-tu me pardonner ?
- Oh ! bien volontiers !
- Laisse-moi t'embrasser."
Et tous les enfants qui, malgré des apparences frivoles, ont un coeur excellent, se jettent tour à tour dans les bras du petit campagnard.
"Nous vous apprendrons à vous servir d'une pince à sucre, lui murmure à l'oreille une fillette.
- Nous vous expliquerons tous les jeux, ajoute une autre.
- Dans huit jours, car maintenant nous n'avons plus envie de rire, dit Henri. Cette pauvre Frisette qu'il va falloir abattre !
- C'est fait, répond Alice en s'avançant les yeux rouges de larmes ; le vétérinaire sort d'ici ; il a fallu, paraît-il, un courage surprenant pour empêcher la pauvre bête de mordre ceux qui l'entouraitn. Cher Michel, comment reconnaître votre dévouement ?
- En ne disant pas à M. et Mme Méraud, quand ils rentreront, le danger couru par leurs enfants. Il faut leur éviter cette émotion.
- Tu veux m'épargner une punition, mon ami, interrompit Henri. Non, il faudra tout raconter ; je saurai subir les reproches pour montrer ton courage et ton coeur. Tu m'a sauvé la vie, et, de plus, tu m'as délivré d'un grand et sot ennemi : le respect humain."

Gabrielle MORET

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