Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Des contes et légendes
Publicité
Des contes et légendes
Archives
Derniers commentaires
Des contes et légendes
Newsletter
16 janvier 2007

La marmite du diable (suite et fin)

Jean Hullos ne savait s'il rêvait, ni s'il avait rêvé, s'il revenait du fond de la terre, et si, réellement, il avait eu affaire à Satan en personne.
Il entra dans la maisonnette et vit une femme quit tenait un enfant dans ses bras ; mais ce n'étaient ni sa femme ni sa fille.
- Que demandez-vous, l'homme de Dieu ? Nous n'avons rien à donner, dit la jeune femme.
- Je ne demande mie l'aumône, je demande Jeanne.
- Quelle Jeanne ?
- Jeanne du Cacheux, autrement dit Jean Hullos.
- Je n'ai jamais ouï prononcer ces noms-là.
- C'est pourtant bien ici, Escaupont.
- Ici même.
Jean se laissa choir sur une chaise en riant.
- Ah ! c'est certain, je deviens fou !
A ce cri, la femme eut peur.
- Allons, sortez ! lui dit-elle, vous n'êtes mie déjà si plaisant avec votre barbe d'une aune : vous avez tout l'air d'un Juif errant.
Jean porta la main à son menton et s'aperçut que, en effet, il avait une longue barbe blanche. Un miroulet, ou petit miroir, était accroché à la cheminée : il s'y regarda et poussa un crit de désespoir. Il prit l'almanach, y jeta un coup d'oeil et retomba sur sa chaise, évanoui.
Le malheureux venait de reconnaître qu'il avait vieilli de cent ans en une nuit.
La femme alla dire à ses voisines que le Juif errant était dans sa maison. Les voisines accoururent.
Cependant, le Cacheux revenait à lui. Il mit sa tête dans ses mains et resta là, comme un homme anéanti.
- D'où êtes-vous ? lui demandèrent les femmes.
- D' Escaupont.
- Y a-t-il longtempq que vous en êtes sorti ?
- Une nuit, et le village et moi nous avons vieilli de cent ans.
- Qu'avez-vous fait durant cette nuit-là ?
- Je suis allé au fond de la terre.
- Au fond de la terre ! Et qu'y avez-vous vu ?
- La marmite du diable.
- C'est donc un sorcie ! fit une voix.
A ces mots, les femmes s'écartèrent. La curiosité fit place à la crainte, et bientôt à la fureur.
- Au sorcier ! Au sorcier !
Ce cri attroupa le village.
Le mayeur (maire) vint, comme les autres, et il eut beaucoup de peine à tirer le vieillard des mains de la foule, qui voulait le lapider. Il le conduisit lui-même à Valenciennes, sous l'escorte du garde champêtre.
Hullos fut enfermé dans la prison pour être jugé le lendemain , mais il advint que, ce jour-là, le grand prévôt mourut subitement : le procès fut remis à huitaine.
Quand le marissiau parut devant le tribunal, le pauvre vieux était si courbé par l'âge et la souffrance qu'il n'avait point la force de lever la tête.
- Est-il vrai que vous soyez allé au fond de la terre et que vous ayez vu la marmite du diable ? lui demanda le nouveau juge.
- Cela est vrai, répondit le Cacheux.
- Et qu'y avez-vous vu encore ?
- Des trésors plus précieux que l'or et les diamants.
- Quels sont ces trésors ?
- Des pierres qui brûlent et qui feront qu'un jour les voitures marcheront sans chevaux, les vaisseaux vogueront sans voiles et les lampes éclaireront sans huile.
- Il n'y a que le magie pour opérer de pareils prodiges. Cet homme est un sorcier !
Le juge prononça ces paroles avec un tel accent de haine que Jean leva les yeux.
Le grand prévôt ressemblait, trait par trait, sauf la taille, à l'effrayant personnage que Hullos avait vu sous la terre ; seulement, il avait caché ses cornes sous son bonnet, ses ailes de chauve-souris sous sa robe, son mufle sous une barbe touffue, et ses yeux de chat-huant sous des lunettes.
Les regard du juge et de l'accus se croisèrent. Les yeux du juge se dilatèrent comme s'il avait fait nuit. A l'aspect de ses deux flammes, le Cacheux sentit qu'il était perdu.
Le prévôt parla ensuite quelque temps. De tout son discours, Jean n'ouït que ces mots :
- Qu'on mène demain cet homme au supplice !
Et Jean fut reconduit en prison, au milieu des imprécations de la foule.
Le lendemain on vint le prendre pour le mener au bûcher sur la Grand'Place.
C'était un samedi, jour de marché : il y avait beaucoup de paysannes des environs qui vendaient du beurre et des oeufs, et qui buvaient de la blanche bière dans les cabarets.
Jean parut, la corde au cou et se traînant à peine. Jamais on n'avait vu un si vieil homme marcher au supplice, et les femmes ne pouvaient se tenir de le plaindre.
Quant à lui, il était résigné. Après tout ce qu'il avait souffert depuis le soir où sa fatale curiosité l'avait conduit au fond de la terre, il aimait autant mourir que vivre.
Pourtant, ce n'était point sans amertume qu'il envisageait son sort. Il tenait en ses mains un secret qui pouvait faire le bonheur du monde, et ce secret, il l'emportait avec lui !
Tout à coup, parmi la foule rangée sur son passage, il aperçut une jeune paysanne qui allaitait un enfant.
L'infortuné jeta un cri :
- Jeanne, ma chère Jeanne !
Et, avant qu'on eût pu l'arrêter, il courut la prendre dans ses bras.
Il couvrait de baiser la mère et l'enfant, et ses larmes coulaient le long de sa barbe blanche. La mère et l'enfant ressemblait si bien à sa femme et à sa fille que Jean oubliait que toutes deux devaient être mortes depuis longtemps.
La jeune paysanne se sentait prise de pitié pour le vieillard et se laissait embrasser en pleurant elle-même.
- Te souviens-tu de Jean Hullos, Jean le Cacheux ? lui dit-il.
- Jean le Cacheux ? J'ai souvent ouï ma grand-mère prononcer ce nom, qui était celui de son grand-père.
- C'est moi, moi je suis Jean le Cacheux !
Une vieille femme de plus de quatre vingts ans s'approcha alors.
- Si vous vous appelez Jean Hullos, autrement dit Jean le Cacheux, je suis votre petite-fille, et celle-ci est la fille de votre arrière-petite-fille.
Et la foule s'écria : "Miracle !" car jamais on ne vit une si merveilleuse ressemblance que celle des deux vieillards.
Jean pressa sa petite-fille sur son coeur.
- Tu es donc, disait-il, l'enfant de ma pauvre Jeannette, que j'ai laissée au sein de sa mère. Hélas ! où est-elle ma jolie petite fille ?
- Elle est morte il y a vingt ans. Elle en avait quatre-vingts.
Tout le monde pleurait en écoutant ces paroles.
D'où vient que vous n'habitez plus Escaupont ? reprit Jean Hullos.
- Ma grand-mère m'a souvent conté qu'aprèq que mon grand-père eut disparu, elle avait quitté son village pour aller s'établir à Aulnoy, de l'autre côté de Valenciennes.
- Au bûcher ! cria une voix, la voix du juge.
Mais les femmes avaient pris parti pour le condamné, et elles se prirent à parler toutes à la fois.
- Ce n'est mie un sorcier ! c'est Jean le Cacheux, le grand-père de Jeanneton, et on nous tuera plutôt que de le faire mourir !
- Ce vieux sait la place où sont enfouis les trésors, disaient les hommes de leur côté.
Et ils le délivrèrent des mains de ses gardes.
- Ecoutez-moi, braves gens, dit alors Jean Hullos, et vous ne mourrez plus de froid durant l'hiver. Sous le mont d'Anzin gisent d'énormes tas de pierres noires qui brûlent comme les tiges de colza. Un jour viendra où, grâce à ces pierres, les voitures marcheront sans chevaux, les vaisseaux vogueront sans voiles et les hommes vivront en joie et en prospérité.
- Et tu voulais, juge maudit, nous priver de tous ces bienfaits ! Au bûcher, le scélérat !
Est la foule saisit le grand prévôt, le garrota, le fit monter sur le bûcher et y mit le feu.
Mais voilà que soudain le jour s'obscurcit, une épaisse nuée descendit sur la flamme, et on vit le juge se transformer en une gigantesque chauve-souris qui prit son vol, plana quelque temps au-dessus de la ville, s'abattit sur le beffroi, y jeta trois cris sinistres et fila droit vers le mont d'Anzin.
Le lendemain, une vingtaine d'hommes résolus, guidés par Hullos, se rendirent, avec pics et pioches, au mont d'Anzin.
Ils n'y trouvèrent ni hutte, ni trou, ni échelle ; mais ils creusèrent à l'endroit que Jean leur indiqua et découvrirent le charbon de terre, qu'ils appelèrent houille, du nom de Hullos.
Ils y creusèrent un puits et amenèrent par là au soleil les entrailles du globe.
Le diable pour se venger, allume quelquefois dans les mines de houille un feu qu'on nomme le feu grisou ; mais il a beau faire, les ouvriers continuent de piller intrépidement ses provisions et d'en tirer la joie et la prospérité du monde.

Les Contes du Roi Gambrinus

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité