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Des contes et légendes
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12 janvier 2007

Abdallah le Maudit

Autrefois dans Bagdad, la ville des merveilles,
Grandissait Abdallah, fils du scheik, El-Modi,
Que les derviches et les vieilles,
Dont les propos moqueurs échauffaient les oreilles,
Nommaient dans leur colère Abdallah le Maudit.
Il n'avait, orphelin, ni mère ni soeur tendre,
Hélas ! pour l'enchaîner doucement au devoir ;
Pour payer son travail dans les baisers du soir,
Ou punir sa paresse en les faisant attendre.
Une mère, une soeur, c'est le premier des biens
Vous le savez, enfants, et moi... je m'en souviens.
Passe encor s'il n'eût fait qu'agacer par derrière
Le derviche immobile en son culte fervent,
Et lui tirer la barbe ; ou bourrer de poussière
La pipe du soldat qui dormait en plein vent ;
Mais gourmand et voleur !... Oui, j'ai lu dans l'histoire
Qu'il aimait un peu trop la figure et le raisin
Du voisin ;
Fécond en malins tours, il y mettait gloire?
Et cadis, marchands, bateleurs,
Dit-on, se méfiaient de lui les jours de foire
Plus que des Quarante Voleurs.
Las enfin d'en gémir, à sa folle conduite
Un viel oncle l'abandonna ;
D'Abdallah le Maudit chacun se détourna ;
Le bruit seul de ses pas mettait les jeux en fuite.
Il réfléchit alors ; la voix qu'il étouffait,
Cette compagne intérieure
Qui chante de joie ou qui pleure,
Suivant qu'on a bien ou mal fait,
La conscience en lui gronda, juge implacable.
Alors dans le désert un saint homme vivait
D'aumône et d'eau, n'ayant que le roc pour chevet ;
Et, pleine de pardons, quand sa main vénérable
Les répandait sur un coupable,
A l'arrêt, inspiré toujours Dieu souscrivait.
"Il me pardonnera sans doute
S'il pardonne aux remords," dit l'enfant, et voilà
Au milieu du désert ses petits pieds en route.
Le désert est bien grand : Dieu conduise Abdallah !
Le désert est bien grand et presque infranchissable ;
C'est un lac de poussière et de feu ; rien n'y croît,
Ni mûres, ni bluets, enfants ; et l'on n'y voit
Que du soleil et du sable.
Parfois, un rocher caverneux,
Sous les pieds de l'Arabe égaré dans l'espace,
Un boa sort fouettant la terre de ses noeuds ;
Ou bien dans le désert c'est un lion qui passe,
Superbe et calme, avec de la chair vive aux dents,
Et de gros yeux pareils à des charbons ardents.
A travers le soleil et les vents et l'orage,
Notre pénitent va, n'ayant pour tout fardeau
Qu'un gâteau de maïs, un bâton de voyage,
Et, pendant au côté, sa gourde pleine d'eau.
Au milieu du désert un cri mourant l'implore :
C'était un pauvre chien qui, sur le sable ardent,
Dévoré par la soif, hurlait en le mordant.
La route à parcourir était bien longue encore ;
Sa gourde résonnait à moitié vide ; eh bien !
Il en épuisa l'eau dans la gueule du chien,
Et le chien bondissant, tout joyeux de renaître,
Dit par une caresse :"Abdallah, sois mon maître."
Il marche, il marche encor, puis s'arrête voyant
Son compagnon lancé revenir en aboyant :
Un serpent au soleil se dressait sur sa queue,
Le serpent roi, celui qu'on appelle devin,
Et, sous les mille éclairs de son écaille bleue,
Un oiseau fasciné se débattait en vain.
Notre héros s'élance, invoque le Prophète,
Et, fort de sa pitié, fort du secours divin,
Frappe à coups redoublé le monstre sur la tête :
Le devin se tordit sur le sable, et siffla ;
Puis mourut aux pieds d'Abdallah.
Le vainqueur dans son sein met l'oiseau sa conquête
Et le baise, endormi sur ce mol oreiller,
Doucement, doucement, de peur de l'éveiller...
Le voilà parvenu devant la grotte sainte,
Enfin !... Et sur le seuil  il hésite, n'osant,
Lui coupable et maudit, profaner cette enceinte ;
Mais, ô surprise ! aux pieds du vieillard imposant,
Quand Abdallah courbait la tête,
Le chien qui le suivait à la porte gratta ;
L'oiseau battit de l'aile au réveil, et chanta ;
Et le saint comprit tout ; car il était prophète.
Sur le front du pécheur alors il étendit
Ses deux mains tremblantes et dit :
"Levez-vous, Abdallah : Dieu pardonne et vous aime ;
En paix avec le Ciel, en paix avec vous-même,
Allez : vous n'êtes plus Abdallah le Maudit.
Pour que Dieu le bénisse, un enfant doit soumettre
Ses caprices mutins aux volonté d'un maître ;
Il doit n'être gourmand, espiègle ni moqueur ;
Mais sur les vertus les plus hautes,
Ce qui l'emporte, et pour racheter bien des fautes,
Ne l'oubliez jamais, enfants : c'est un bon coeur !"

Hégésippe MOREAU
Mars 1893

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